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Le chant grégorien

Le chant liturgique

L'art vocal liturgique est à bien des égards aux antipodes des habitudes musicales modernes. Le cantus christianus, qui est beaucoup plus qu'une simple musica habillant les textes sacrés latin, s'est formé, dès les premiers siècles jusqu'à la fixation du répertoire grégorien proprement dit, sur des schémas de récitation et de cantillation simples, à base pentatonique, souvent plus proches de la voix déclamée que de la voix chantée. La Parole sacrée est première : elle doit être exactement articulée et proclamée. L'art du chantre du Haut Moyen-Âge se rattache donc à la rhétorique classique plutôt qu'à l'art vocal stricto sensu. Cela n'exclut nullement que le chant puisse s'évader du texte pour laisser s'épanouir la musique pure : les abondants mélismes en témoignent. La vocalise est alors exclusivement au service de la célébration et du message à transmettre. La beauté ne vient pas de la voix du chantre, mais de l'art de bien remplir sa fonction. Certaines pièces accompagnent un rite. Les antiennes rythment le chant des psaumes. Les graduels, alleluias et répons constituent un rite à eux seuls  : celui de la méditation. Ils puisent leur origine et leur structure dans la forme psalmodique, qui est la base du chant. Les hymnes, séquences et tropes, de veine poétique et non biblique, de forme strophique et de composition souvent plus tardive, correspondent davantage à l'expression populaire, se rapprochant, toute proportion gardée, du choral moderne.

Le chant "grégorien"

Le chant grégorien porte ce nom d'après une tradition qui remonte à l'époque carolingienne. Il est la synthèse d'une évolution musicale à partir de la tradition orale, dès les premières années de christianisme : à cette époque co-existaient différents répertoires liturgiques paléo-chrétiens dont une grande partie a disparu, ou s'est fondue dans ce qu’on a appelé le grégorien. Aujourd'hui, grâce aux travaux de nombreux musicologues et en premier lieu grâce à ceux des moines de l'abbaye de SOLESMES (dans l’ouest de la France) entrepris depuis le milieu du XIXème siècle, dont les travaux sont regroupés dans l’Atelier de Paléographie de cette abbaye. Parmi les nombreux moines qui ont joué un rôle majeur dans ces découvertes, citons l’un des plus récents, Dom Jean CLAIRE († 2006), qui a fortement contribué à mettre en lumière les étapes successives de l'élaboration du chant grégorien à partir des traditions orales préexistantes, principalement romaine et franque, et leur contexte historique et liturgique.

Dom Jean CLAIRE
Dom Jean CLAIRE

C’est à partir du IVème siècle que l'église sortit de la clandestinité. Les communautés chrétiennes se développèrent selon leur rite propre. Mais des papes comme Léon le Grand (440-461), Gélase 1er (492-496) et surtout Grégoire le Grand (590-604) cherchèrent à faire disparaître les particularismes locaux, que Rome réussit réussit progressivement à faire converger vers une unité de la liturgie d’Occident. Le chant celtique d'Angleterre, de Bretagne et des premiers chrétiens d'Irlande disparut vers le VIIème siècle, à l'arrivée des missionnaires romains. Son répertoire n'a jamais été noté. Le chant de l'Espagne wisigothique, appelé souvent « mozarabe », fut aboli tardivement par les papes Urbain II et Grégoire VII au XIème siècle. Mais on en conserve des sources manuscrites.

Quant au chant gallican (celui de la liturgie des Gaules), il se fondit progressivement dans la liturgie romaine car la volonté de Rome rencontra au VIIIème siècle celle des empereurs carolingiens, également désireux d'unité. En effet, en 754, le pape Etienne II, face aux Lombards qui menaçaient Rome, fut invité par le roi des francs Pépin le Bref, à venir dans son royaume pour y sceller une alliance. L’évêque de Metz, Chrodegang, joua un rôle éminent dans cette démarche. Le 28 juillet 754, à l'abbaye royale de Saint-Denis, Etienne II sacra Pépin “Roi des Francs” et “Patrice des Romains”. Pendant son long séjour en royaume franc, le Souverain Pontife, accompagné de diacres, acolytes, chantres ... etc, célèbrait la liturgie selon le rite et le chant romains. Pépin le Bref décida alors que dans les églises de son royaume, on célébrerait désormais cette liturgie selon l’usage romain. Mais ce ne fut pas si simple ! En effet, à cette époque, seuls les textes étaient notés dans des manuscrits. On ne savait pas écrire la musique, et les chantres avaient appris le répertoire par cœur. Des chantres romains vinrent donc former les chantres francs aux chant romain. Mais une fois ces Romains rentrés chez eux, les chantres francs eurent quelques difficultés à mémoriser ces mélodies nouvelles : certaines habitudes musicales antérieures perdurèrent. De là naquit un chant “romano-franc”, ancêtre direct du chant grégorien que nous connaissons. C’est pour donner plus de force à cette nécessité d’unification du chant liturgique, qu’au IXème siècle, sous Charlemagne, se construisit la légende d'un chant prétendument “inspiré” et composé par Saint Grégoire le Grand qui avait été pape près de deux siècles plus tôt. Le prestige immense de St Grégoire allait contribuer à propager cette légende dans tout l'Occident chrétien, notamment grâce à une importante iconographie et l’on appela « grégorien » ce chant romano-franc.

Saint Grégoire
Saint Grégoire
Saint Grégoire
Saint Grégoire

C’est ainsi qu’on a cru pendant un bon millénaire que le chant grégorien avait été composé par St Grégoire ! Ce chant « grégorien », dans son esthétique originelle, est donc le fruit de la rencontre du chant de Rome et du chant des Gaules franques, qu’on appelait cantilena metensis (c’est à dire chant messin). Car Metz, qui, avant l’époque carolingienne, avait été la capitale du royaume d’Austrasie, était un centre liturgique de premier plan : après Chrodegang, Amalaire de Metz (775-850), chantre, liturgiste et chorévêque, y joua un rôle éminent. Et ce rôle liturgique et musical de premier plan perdura encore longtemps.

Mais pour que le chant grégorien puisse être plus facilement retenu et diffusé sans être altéré, il fallait encore inventer un outil. Ce sera la notation musicale, et ce sera dans la seconde moitié du IXème siècle. Des moines eurent l’idée d’utiliser inventer des lettres et des signes (points, accents, apostrophes, etc) propres à indiquer un mouvement mélodique, une durée, un appui, et autres subtilités du chant. Ce sera le premier système d’écriture musicale : l’écriture en « neumes » : “Neuma”, en grec, signifie “signe”. Mais le neume n’est pas lui-même une note; il ne précise pas encore la hauteur exacte des sons. Pour cela il faudra attendre qu’on ait l’idée de placer les neumes de part et d’autre d’une ligne tracée horizontalement, représentant un son principal, puis progressivement, plusieurs lignes, qui deviendront ensuite une portée musicale.

Manuscrit de Laon
Manuscrit de Laon (fin IXème siècle)
Manuscrit de Laon
Manuscrit de Laon (XIIIème siècle (cistercien))

La plupart des répertoires de chant non-conformes au chant grégorien finirent par disparaître. Il est intéressant toutefois de noter que si le grégorien s’est implanté presque partout, à Rome même, la liturgie du pape a longtemps conservé l’usage de l’antique chant romain (celui qu’entendit Pépin le Bref), que l’on nomme aujourd’hui « vieux-romain ». Ce n’est qu’au XIIIème siècle que le pape Innocent III ordonna son remplacement par le grégorien dans la liturgie papale, allant jusqu’à en faire disparaître les traces écrites. Heureusement, plusieurs sources manuscrites échappèrent à la destruction, et ont pu être été retrouvées.

Une autre grande tradition de chant liturgique occidental échappa aussi à la disparition : celle de l’Eglise de Milan qui résista, et put conserver l’usage de son rite et de son chant, dit « ambrosien », jusqu’à aujourd’hui. D’origine orientale et utilisant de longues vocalises, organisé par saint Ambroise au IVème siècle, le chant ambrosien ne nous est toutefois connu que par des manuscrits dont aucun n’est antérieur au XIIème siècle : c’est à dire qu’il nous est parvenu dans un état sans doute modifié, car fortement imprégné de style romain.

Pour interpréter le chant grégorien aujourd’hui, il faut prendre en compte le fait que le contexte de tradition orale dans lequel il est né a totalement disparu. La manière originelle de chanter a évolué sous l’influence de la pratique de plus en plus fréquente de la polyphonie - elle-même en pleine évolution - mais aussi au fur et à mesure que se développait la notation musicale. La transformation progressive des neumes, à partir du XIIème siècle, en notes carrées placées sur une portée permit de noter plus précisément les intervalles du chant, mais cela se fit au détriment des subtilités d’interprétation indiquées par les anciens neumes, qui disparurent dans les manuscrits de notes carrées. La manière de chanter le grégorien au temps de Charlemagne ne nous est connue aujourd’hui que très partiellement, par les textes qui le décrivent. Les neumes des manuscrits, des IXème, Xème et XIème siècles donnent les indications précieuses sur son interprétation, tandis que les manuscrits de notes carrées, largement postérieurs, précisent les mélodies, non sans modifications, mais n’indiquent plus grand chose de l’interprétation de cette musique.

Les chanteurs désireux d'aborder le chant grégorien doivent donc le faire dans un esprit de modestie intellectuelle et musicale : cela réclame un minimum de connaissance des diverses sources, lesquelles se recoupent le plus souvent. Après les immenses travaux paléographiques et l’étude comparée des principaux manuscrits effectués depuis un bon siècle et demi par des moines de SOLESMES - et aussi par d’autres musicologues - l'étude sémiologique des diverses écoles de notation musicale primitives, initiée par Dom Eugène CARDINE († 1988), trace une voie désormais incontournable.

Dom Eugène CARDINE
Dom Eugène CARDINE

Mais il subsiste une relative part d'incertitude quant aux divers aspects de l’interprétation, comme par exemple sur la question du tempo auquel il faut chanter. Le chanteur doit faire des choix et développer une vocalité adaptée à un chant liturgique qui est toujours porteur de spiritualité.

Des premières notations musicales à la recherche musicologique moderne

Avant même que ces mélodies n'aient trouvé leur traduction graphique dans une notation musicale, des manuscrits appelés tonaires ont présenté des listes d'antiennes dans l'ordre des tons sur lesquels on devait chanter les psaumes. Ils offraient ainsi, avant les premiers signes d'écriture, un aide-mémoire aux chantres. Si au VIII ème siècle et au début du IX ème siècle, des sacramentaires non notés présentaient l'ordonnance liturgique des chants, les tonaires étaient donc destinés à l'organisation musicale : jusqu'au XII ème siècle, des listes par tons accompagnèrent tropaires, graduels ou antiphonaires, même pourvus de notations, pour une plus grande clarté de lecture.

Dès la fin du X ème siècle des manuscrits de chant furent copiés à St-Gall avec des signes d'origine grammaticaux permettant de traduire les indications rythmiques. Cette invention, dans cette abbaye, pourrait être imputée à la présence, à la fin du IX ème siècle, de poètes tels que le moine Notker Balbulus. Leurs proses pouvaient contribuer à mémoriser les mélodies, notamment les mélismes, et leur structure rythmique. Quant aux autres moyens de noter le rythme (lettres signifiant l'accélération ou le retardement, ajouts d'épisèmes - ou modifications de signes), leur présence atteste que la recherche d'une notation rythmique fit à Saint-Gall l'objet d'une élaboration minutieuse. La notation messine est contemporaine. Un graduel du X ème siècle provenant de la cathédrale de Laon en est le plus beau spécimen connu : ses indications rythmiques sont aussi référentielles que celles de St Gall, et elles présentent un système de signes dont la concision montre un état d'achèvement très avancé.

La nature même de la transmission des mélodies au Moyen-Âge nécessite une interprétation qui comporte une part de relativité, tant à propos du rythme que de la mélodie, puisque les premières notations se bornent à indiquer la direction mélodique sans préciser exactement les intervalles. Les premiers manuscrits mélodiquement précis furent notés dans le Sud-Ouest de la France dans la deuxième moitié du XI ème siècle. Il y a une certaine disparité entre la restitution du rythme et celle de la mélodie. La première différence est géographique : dans les premières notations, le rythme est inconstestablement plus précis à Laon et St-Gall, tandis que la mélodie l'est davantage dans le Sud-Ouest de la France. L'autre différence est chronologique : il existe, certes, des manuscrits mélodiquement bien lisibles vers l'Est, au XII ème siècle, mails ils ne rendent plus si bien compte du rythme noté dans les mêmes régions au X ème siècle. Devant cette alternative, les moines de Solesmes ont donc cherché, dès le XIX ème siècle, à établir un texte critique des mélodies, à partir de tableaux comparatifs de manuscrits de traditions diverses ; et le Concile Vatican II a lui-même demandé que ce travail soit poursuivi, avec notamment une édition critique du Graduel. Le travail extraordinairement minutieux et systématique fait à Solesmes avec une méthodologie musicologique a abouti à une restauration aussi fidèle que possible des mélodies médiévales qui s'étaient modifiées pendant la Renaissance et les époques ultérieures. Les mélodies ont été ainsi restaurées selon un postulat d'uniformité primordiale qui ne peut pas être prouvé avec certitude dans chaque cas : il ne faut évidemment pas exclure qu'au Moyen-Âge certaines mélodies aient pu être chantées avec des variantes d'une région à l'autre. Mais il n'en reste pas moins vrai que le travail de restauration accompli à Solesmes, avec les éditions qui en sont l'aboutissement, est une base monumentale et incontournable pour qui souhaite appréhender le chant grégorien.

Grégorien et polyphonie médiévale

A partir des mélodies grégoriennes, le répertoire s'enrichit dès IXème siècle, époque de l'invention de la notation musicale. Dès le XIIIème siècle, l'Ecole de Notre-Dame de Paris pousse l'innovation musicale jusqu'à l'extrême, y compris l'utilisation de dissonnances non résolues et la pluralité des rythmes. Partout en Europe : en Italie, en Aquitaine, en Espagne, en Angleterre, au Nord et au centre de l'Europe, la polyphonie se greffe sur la tradition grégorienne tout en s'en affranchissant progressivement, donnant naissance à un répertoire considérable d'oeuvres nouvelles. A la Renaissance et à l'époque baroque, les compositeurs, y compris ceux des Eglises issues de la Réforme, ne cesseront de puiser à cette source, tant pour leurs oeuvres vocales qu'instrumentales.

Le chant grégorien est donc bien à la source de la musique occidentale.